samedi 10 avril 2010


Célestin Pierret, la force du destin

Du hêtre brut livré à la gouge de Célestin Pierret émergent des êtres inachevés qui hantent les mémoires depuis l’aube de l’art. Ces êtres se coulent admirablement dans l’esprit de la tragédie grecque, avec ses héros emportés par la force inexorable de leur destin. C’est pour cette raison qu’en 1993, une compagnie théâtrale lui commanda la réalisation du décor d’une tragédie d’Eschyle, qui marqua le début de sa collaboration avec Chris Delville. Cependant, sans aucune inclination vers le classicisme tragique, ses œuvres ont la fougue et l’élan d’un baroque éternel. Solide et confiant dans le dynamisme de sa taille, il n’hésite donc pas à réinterpréter de grands thèmes historiques, qui évoquent le kouros grec, les bestiaires des chapiteaux romans, la « Porte de l’Enfer » du Dante revu par Rodin, concevant la sculpture tout en « os, muscles et nerfs ». Evoquant l’art chrétien d’inspiration celtique, aux monstres enchevêtrés dans les ambons, tabernacles et reliquaires, il s’allège pourtant du poids de la tradition par le tonus et la rigueur qui l’empêchent de sombrer dans l’art de l’ornementation.

La force est donc de résister au désir d’achever ces êtres comme s’ils étaient de simples créatures humaines, emportées par un destin écrit par les dieux. Ces créatures semblent rescapées d’une violente genèse qui les a laissées ni homme, ni bête, ni dieu, mais ayant gagné dans cet accouchement douloureux le droit d’affirmer leur existence.

Son kouros à la tête creuse et aux orbites vides est un personnage androgyne. La symétrie centrale est cassée par un détail insolite : le personnage avance un pied nu et un pied chaussé d’une sandale. Le bois n’est jamais poli, fidèle à ce non finito qui avait séduit Michelange, et l’assemblage s’appuie sur les techniques les plus anciennes : étroits morceaux assemblés par un système de tenons et de mortaises, qui avaient déjà produit des chefs d’œuvres de la sculpture japonaise au VIIIe siècle. Entre reliquaire et iconostase byzantine, le « livre objet » qu’il crée en collaboration avec Chris Delville, est chaque fois une pièce unique, bien qu’il adapte l’idée de la gravure en sculpture. L’ensemble est proche du climat de mystère et de secret entretenu par l’évangéliaire enluminé du Moyen-âge.

Ces œuvres s’apparentent à des hauts-reliefs, avec toute leur frontalité et leur muralité : elles se destinent à être exposées proches d’un mur. De même, la sculpture sur bois transposée au bronze pourrait se destiner aux portes d’un baptistère païen. Ses bronzes témoignent de la polyvalence de Célestin Pierret, de son talent dans le domaine de la fonderie et de la recherche de patines.

Affirmant leur interdépendance avec leur environnement, ces sculptures, qu’elles soient de bronze ou de hêtre, mettent en valeur le fond sur lequel elles se détachent. Dans ce but l’artiste fond les corps et les visages dans les entrelacs qui les entourent. Par les espaces et les vides qui dévoilent leur arrière-plan, les corps évoluent et semblent hésiter entre se dissoudre dans l’espace ou se remplir de matière. Dans leur équilibre instable, ils sont encore là, juste pour nous dire : nous ne sommes finalement qu’imaginaires, imaginaires parce que nous avons laissé planer un doute, ne sachant si nous étions herbes ou viscères, végétal ou organique, corps anthropomorphes englués dans un réseau de matière qui ne fait aucune différence entre intérieur et extérieur, entre Soi et l’Autre.

Célestin Pierret est un poète-menuisier : il fabrique des portes par lesquelles s’élancent des héros de tragédies hésitant entre l’imaginaire et le réel.

Texte / George Fontaine

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